Histoire de l’Enseignement de l’État en Belgique
Première partie : de 1830 à 1958
Des origines à la révolution de 1830
Un certain nombre d’établissements scolaires de l’État plongent leurs racines lointaines aux XVIe et XVIIe siècles, à une époque où l’enseignement était le monopole de l’Église et était complètement soustrait au contrôle des pouvoirs publics.
Sous l’ancien régime, l’enseignement secondaire était confié à des ordres religieux (Jésuites, Oratoriens, Ursulines, …) ou à des prêtres séculiers. Quant à l’enseignement primaire, il était peu organisé et laissé aux mains des curés et des congrégations religieuses.
Avant 1773, dans ce qui deviendra la Belgique, on dénombre 158 collèges dont 17 tenus par les Jésuites. Après la dissolution de leur ordre par le pape Clément XIV en 1773, les écoles des Jésuites furent prises en charge par les autorités autrichiennes qui occupaient nos régions.
Sous le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, les collèges des Jésuites furent transformés en collèges impériaux appelés « Athénées Thérésiens ».
Ce sont eux qui sont à l’origine de nos Athénées Royaux.
Sous le régime français hérité de la Révolution de 1789, l’enseignement fut confié à l’État et, sous le régime hollandais qui lui succéda de 1815 à 1830, la loi fondamentale de 1815 précisait que « l’Instruction publique devait être l’objet des soins constants du gouvernement ». Par ailleurs, le régime hollandais s’opposa fermement à la liberté d’enseignement, un point ultra-sensible qui fit l’objet de critiques virulentes au sein d’une partie importante de l’opinion publique, attisées en outre par l’église catholique qui ne cessait de réclamer plus de liberté et plus d’autonomie.
On ne s’étonnera donc pas de constater qu’au lendemain de la révolution, le gouvernement provisoire supprima toute entrave à la liberté d’enseignement. Une disposition confirmée quelques mois plus tard par le Congrès national qui, soucieux d’éviter toute mainmise du pouvoir exécutif en la matière, précisa à l’article 17 de la Constitution que l’enseignement était libre et que l’Instruction publique donnée aux frais de l’État était réglée par la loi. Ce compromis entre les partisans de la liberté d’enseignement et les partisans du monopole de l’enseignement de l’État, loin d’apaiser les esprits, fut sans cesse remis en question tout au long du XIXe siècle et au cours de la première moitié du XXe siècle.
De 1830 à 1945
Au lendemain de l’indépendance de la Belgique, ce que l’on a coutume d’appeler « la question scolaire » divisa profondément l’opinion publique.
En fait, le grand débat idéologique suscité au XVIIIe siècle par la « Philosophie des Lumières » et, ensuite, par la Révolution française, a donné chez nous naissance à deux grandes formations politiques : un parti libéral et un parti catholique, qui se sont affrontés durant des décennies dans une guerre idéologique sans merci dont l’école fut l’enjeu principal.
Pour le parti libéral, l’enseignement devait être confié aux pouvoirs publics, tandis que le parti catholique prônait des écoles libres de confession catholique.
L’alternance des gouvernements homogènes libéraux ou catholiques tout au long du XIXe siècle donna naissance à une multitude de mesures législatives fragmentaires que les successeurs au pouvoir s’empressaient de détricoter.
Cette lutte permanente entre les réseaux officiel et libre fut particulièrement vive au cours des dernières décennies du XIXe siècle.
L’un des exemples les plus marquants fut sans conteste la loi Van Humbeek du 1er juillet 1879, qui invitait toutes les communes à créer un enseignement public laïque et neutre, dans lequel le cours de religion était donné en dehors des heures de cours. Une mesure qui agita les esprits pendant cinq longues années et qu’un gouvernement catholique homogène abrogea en 1885 en rendant le cours de religion obligatoire dans toutes les écoles communales et en accordant les premières subventions aux écoles libres.
C’est dans ce contexte historique peu favorable que l’enseignement de l’État réussit à se frayer un chemin jalonné de quelques mesures importantes :
· La loi fondatrice de l’enseignement moyen de l’État du 1er juin 1850 (loi Rogier).
Celle-ci prévoyait la création d’une cinquantaine d’écoles de cycle court de 3 ans, les Écoles moyennes, et de dix Athénées Royaux, un par chef-lieu de province[1], auxquels s’ajoutait l’Athénée Royal de Tournai.
Ces établissements étaient placés sous la direction du Gouvernement qui y désignait les membres du personnel et fixait le programme des cours.
Les Athénées Royaux comportaient deux sections : les humanités anciennes et les humanités professionnelles (scientifiques et commerciales), qui prirent ultérieurement le nom d’humanités modernes.
Ils avaient pour mission de préparer les élèves aux études universitaires et de former des cadres supérieurs tandis que les Écoles Moyennes avaient comme objectif de former des cadres moyens.
· Dans les années 1920 apparurent les premières mesures de démocratisation. Plusieurs de nos établissements accueillirent des jeunes filles, mais cela ne se fit pas sans résistance quelquefois.
· En 1926, une première étape fut franchie quand les études faites dans une École Moyenne furent assimilées aux études correspondantes dans un Athénée, ce qui permit le passage de l’une à l’autre.
· Mais il fallut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1947) pour assister à la formation des sections techniques et professionnelles au sein des établissements d’enseignement moyen.
· Au fil du temps, les Écoles Moyennes se sont dotées de sections préparatoires, en particulier dans les régions rurales qui étaient de tendance chrétienne en raison d’une majorité de mandataires catholiques siégeant aux conseils communaux.
Ceci nous amène à faire le constat que l’Enseignement de l’État est venu très tard à l’enseignement technique et professionnel et, qu’en outre, il faisait figure de parent pauvre au niveau de l’enseignement primaire.
La réalité de terrain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale indiquait un enseignement de l’État constitué d’écoles de divers niveaux et de formes d’enseignement avec une prédominance très nette pour l’enseignement général face à un réseau libre confessionnel très étoffé où toutes les formes et niveaux d’enseignement étaient bien représentés.
Par ailleurs, le réseau officiel autre que l’État comprenait un enseignement provincial constitué majoritairement d’écoles techniques et professionnelles et un enseignement communal important au niveau primaire.
3. De 1945 à 1958
· Dès la fin des hostilités, la question scolaire était vite revenue à l’avant-plan. S’appuyant sur l’article 17 de la Constitution qui garantissait aux parents le droit de choisir une école répondant à leurs convictions, les milieux catholiques estimaient que cette mesure était purement formelle si elle n’était assortie d’un droit de subventionnement.
C’était assurément leur revendication principale.
Les défenseurs de l’enseignement de l’État avaient pour leur part des motivations à la fois sociales et idéologiques : développer l’accès du plus grand nombre d’enfants à l’éducation et les soustraire à l’influence du cléricalisme ambiant surtout en Flandre.
Pour cela, il était nécessaire d’avoir de nouvelles écoles et de moderniser les bâtiments existants qui dataient souvent du siècle précédent et étaient très vétustes.
Mais confronté à l’ampleur des tâches à accomplir (reconstruction du pays et relance de l’activité dans tous les secteurs de la vie économique et sociale) et accaparé de surcroît par l’épineuse question royale, le gouvernement de l’époque n’était guère en mesure de prendre en charge convenablement l’ensemble des problèmes posés par l’enseignement, ni de mettre fin aux rivalités qui dressaient l’un contre l’autre les deux grands réseaux d’enseignement.
· Les élections législatives de 1950 n’allaient pas calmer les esprits, loin s’en faut. Elles donnèrent la majorité absolue au parti catholique (reconverti en parti social-chrétien), ce qui permit à ce dernier de constituer un gouvernement homogène dans lequel le portefeuille de l’Instruction publique fut confié à Pierre Harmel.
C’était la première fois qu’un ministre chrétien était à la tête de l’enseignement de l’État depuis trente ans. Inutile de préciser que celui-ci en profita pour effectuer un maximum de désignations favorables à son parti au sein des établissements scolaires de l’État à un moment où ceux-ci s’étoffaient au fur et à mesure que la démocratisation des études entamait son essor.
Et dans le même temps, le ministre accorda un maximum d’avantages aux établissements de l’enseignement libre sous forme de subventions de fonctionnement et d’équipement.
De grandes réformes concernant les problèmes de fond de l’enseignement (organisation des études – programme des cours – amélioration des méthodes), il n’y en eut guère, si ce n’est qu’on peut quand même mettre à l’actif de ce gouvernement quelques réalisations telles que :
- la loi organique de l’enseignement normal en 1952,
- la loi organique de l’enseignement technique en 1953.
· En 1954, changement de décor. Un nouveau gouvernement composé de ministres libéraux et socialistes (appelé le cartel des gauches) revient au pouvoir. C’est Léo Collard qui hérite du ministère de l’Instruction publique.
Le nouveau gouvernement, très favorable cette fois aux partisans de la laïcité, porta toute son attention sur les écoles créées par les Pouvoirs publics et en particulier celles de l’État.
Mais, une fois de plus, les moyens alloués étaient insuffisants pour satisfaire toutes les revendications. Un effort particulier fut néanmoins accompli dans le domaine des bâtiments scolaires et aboutit en fin de législature au vote de la loi du 22 avril 1958 portant la création du « Fonds des Constructions scolaires et parascolaires de l’État » et d’un « Fonds des Constructions de l’Enseignement supérieur et des Cités universitaires de l’État ».
Par ailleurs, le régime des subventions octroyées à l’enseignement libre fut revu à la baisse à la faveur de plusieurs mesures législatives, appelées « Les Lois Collard » :
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- - les lois coordonnées sur l’enseignement moyen du 30 avril 1957;- les lois coordonnées sur l’enseignement normal du 30 avril 1957;
- - les lois coordonnées sur l’enseignement technique du 30 avril 1957;
- - les lois coordonnées sur l’enseignement primaire du 20 août 1957.
Quand celles-ci furent votées, les milieux catholiques réagirent avec véhémence.
Les esprits s’échauffèrent une fois de plus de part et d’autre et des manifestations de masse furent organisées un peu partout notamment à Bruxelles et dans plusieurs villes du pays.
La situation politique devint de plus en plus houleuse. Toutefois à l’approche de nouvelles élections, plusieurs voix s’élevèrent pour dire qu’il était temps de mettre un terme à ces affrontements stériles qui usaient les énergies, portaient gravement préjudice au monde de l’enseignement et empêchaient les gouvernements successifs de promouvoir une politique éducative et pédagogique à la hauteur des besoins de l’époque.
Aussi l’idée d’un compromis fit peu à peu son chemin dans l’esprit d’un nombre croissant de responsables politiques et finit par aboutir :
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- - le 6 août 1958, à la constitution d’une Commission permanente du Pacte scolaire
- - le 20 novembre 1958, à la conclusion d’un Pacte scolaire, adopté à l’unanimité par les trois partis traditionnels de l’époque (libéral, socialiste, social-chrétien).
Cet accord politique et financier, concrétisé par la loi du 29 mai 1959, dite « Loi du Pacte scolaire », avait pour objectif essentiel d’établir un équilibre stable entre l’enseignement officiel et l’enseignement libre (et partant, d’assurer la paix scolaire) ainsi que de promouvoir une politique d’expansion de l’enseignement dans la limite des possibilités financières du pays.
Parmi les nombreuses dispositions énoncées par cette loi, il convient de mettre en exergue quelques mesures phares destinées à apaiser les esprits et à répondre à quelques revendications prioritaires :
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- Ø La confirmation du libre choix des parents dans l’éducation de leurs enfants, ce qui de facto, consacre la pluralité des réseaux d’enseignement;
- Ø L’octroi de subventions de fonctionnement et d’équipement aux établissements d’enseignement subventionné libre et officiel ainsi que des subventions-traitements pour les membres de leur personnel;
- Ø La possibilité pour l’État d’ouvrir de nouvelles écoles partout où le besoin s’en fait sentir;
- Ø La poursuite de l’effort consenti au profit de l’enseignement de l’État dans le domaine des constructions scolaires;
- Ø L’instauration de la gratuité dans l’enseignement gardien, primaire et secondaire : un acquis qu’il convient de nuancer car il ne concerne que la perception du minerval;
- Ø L’obligation pour le gouvernement de n’entreprendre aucune réforme fondamentale de l’enseignement sans une concertation préalable entre les délégués des différents réseaux d’enseignement;
- Ø L’introduction, à côté des distinctions école de l’État, école subventionnée libre et officielle, caractère confessionnel et non confessionnel, de la notion d’école neutre.[2]
- Ø …
Si le Pacte scolaire a apporté un certain apaisement au sein des communautés éducatives de l’enseignement libre et de l’enseignement officiel, il faut reconnaître que la paix scolaire n’a jamais été une réalité.
La concurrence entre les réseaux est toujours restée vive et les revendications constantes émises de part et d’autre ont contraint les gouvernements à compléter à maintes reprises la loi de base du 29 mai 1959.
Aujourd’hui encore, le chantier reste inachevé.
Roland Gaignage – Past Président
Sources :
§ André Molitor : Souvenirs. Éditions Duculot 1984.
§ Jan De Groof : Le Pacte scolaire : coordination et annotations. Story-Scientia 1990.
§ Institut d’Étude du droit de l’école (en collaboration avec l’Institut d’Étude des Religions et de la Laïcité de l’ULB). Dossier réalisé en 1992.
§ Coupures de presse et extraits de conférences ou d’exposés en rapport avec la Paix scolaire au moment de la communautarisation de l’enseignement (années 1988-1989).
[1] Arlon – Bruxelles – Liège – Mons – Namur – Anvers – Bruges – Gand – Hasselt.
[2] Sont réputées neutres (en 1958), les écoles qui respectent toutes les conceptions philosophiques et religieuses des parents qui leur confient leurs enfants et dont au moins deux tiers du personnel enseignant sont porteurs d’un diplôme de l’enseignement officiel et neutre.